Tandis que ce Kuntz enchaînait verres et histoires diverses sur sa carrière de guerrier, je sirotais de mon coté le même verre depuis le début, écoutant attentivement, avec toutefois un rien de suspicion quant à certaines actions héroïques. Mais je n’en laissais rien paraître, ce qui semblait plonger mon compagnon toujours plus avant dans des histoires invraisemblables. Je pus néanmoins discerner dans ses paroles quelques informations sur la région où nous nous trouvions, inquiétantes au demeurant. Comme Arlan me l’avait déjà dit à maintes reprises, les Réprouvés étaient loin d’être les seuls non-morts qui arpentaient les terres d’Azeroth, le Roi Liche semblant disséminer ses troupes un peu partout. Et bien que les Réprouvés fussent chargés de nettoyer les terres de cette engeance, ils devaient se confronter à une armée de fanatiques humains, rassemblés sous la bannière de la Croisade Ecarlate, et qui ne faisaient aucunement le distinguo entre les non-morts.
Ainsi, même si nous avions un ennemi commun, cela ne signifiait en aucune façon que nous étions alliés, loin s’en fallait.
« Tu sais que –on peut se tutoyer au fait ? Non parce qu’on va pas faire de chichi hein…-tu sais que ces malades m’ont poursuivis une nuit entière parce que j’avais tué leur cible avant eux ? J’les ai massacrés un par un, toute une compagnie, héhéhé ! Oooh ouais, ça m’a pris quequ’ heures, j’ai du ramper un peu dans la boue et tout, mais z’ont eus la gorge tranchée tous autant qu’y z’étaient ! Y’en a qu’un qui m’a posé problème, l’fumier…il était dev’nu comme qui dirait cinglé c’t’animal, berserk on dit. M’a tranché le bras gauche au niveau du coude avant que j’lui plante mes dents dans la gorge. J’étais pas bien content non plus j’t’avouerais, il a salement morflé lui. J’l’ai traîné jusqu’ici encore vivant, et on en a fait bombance. Pour ça qu’j’ai encore du crédit ici, l’aubergiste m’a à la bonne depuis. J’y ramène un p’tit dodu d’la Croisade d’temps en temps et y m’laisse crécher là et picoler c’que j’veux. Tiens d’ailleurs…EH OH FAIS SOIF LA !!! Arh arh arh ! »
Ceci dit à l’adresse de l’aubergiste, ponctuant sa phrase d’un coup de poing sur la table et d’un rire tonitruant.
Il me raconta ensuite comment les chirurgiens d’Undercity lui avaient greffés un nouveau bras, exhibant la cicatrice de son combat avec fierté. Quelques temps passèrent ainsi, avant que je commence à m’inquiéter de l’absence d’Arlan et un peu aussi de l’état d’ébriété à présent fort avancé de Kuntz. Il ne fallut pas beaucoup plus longtemps avant que le tête de ce dernier ne s’écrase d’un coup sur la table dans un fracas de verre brisé. Je conclus à son ronflement que le guerrier avait après tout une limite quand à la quantité d’alcool qu’il pouvait absorber, chose dont je commençais à douter. J’en profitais pour aller m’enquérir de ce qu’était devenu Arlan.
La nuit était tombée depuis peu sur les Clairières de Tirisfall, recouvrant les environs d’une épaisse brume, à l’œil impénétrable. J’allais de garde en garde, demandant si on n’avait pas aperçu mon Maître, mais personne ne semblait l’avoir vu. Ce ne fut que le dernier des Nécrogardes qui put m’apporter une réponse, tout sauf satisfaisante. Il me dit qu’Arlan était passé le voir, et lui avait donné pour instructions de me remettre un sac, quelques pièces d’or et un morceau de papier où n’était inscrit qu’un seul mot : « Vis ! »
Je ne revis plus jamais mon Maître.
Je revins vers l’auberge au bord des larmes, le sentiment d’être abandonnée me tordant les tripes. Kuntz avait été allongé sur un banc de l’auberge, ronflant tout son soul. L’aubergiste, une femme fort sagace, remarqua mon état d’abattement et me servit une liqueur légère, « cadeau de la maison », me dit-elle. Elle revint un peu plus tard à ma table pour me dire ceci :
« Vous étiez observés…vous et votre compagnon, le guerrier. Peut-être ne connaissez vous pas encore ce sortilège, mais un œil de Killrog est resté là une bonne heure. »
Et pointant du menton en direction de Kuntz :
« C’est un bon gars. Un peu brusque peut-être, mais bon. IL ne vous a pas laissée dans de sales draps. Allez de l’avant à présent ! »
Elle me tapota l’épaule en me souriant, puis s’en fut à sa besogne.
Je ne pus quant à moi trouver le sommeil cette nuit, ressassant sans cesse cet unique mot, « Vis ! », mesurant tout le poids de celui-ci.
Le matin suivant, nous partîmes, moi et un Kuntz titubant et grognant dans les douleurs crâniennes propres à une ingestion prohibitives d’alcools, en direction d’Undercity. Il ne me restait plus après tout qu’à rencontrer la personne que j’étais censée y voir la veille.
« C’est qui l’nom à ton bonhomme », s’enquit Kuntz.
« Un certain Varimathras, apparemment », lui répondis-je.
Kuntz marqua alors un arrêt, les yeux écarquillés, et semblant tout d’un coup débarrassé de ses douleurs.
« Le Seigneur Varimathras, rien qu’ça ?! Oula, eh j’te préviens c’est pas l’dernier v’nu ce gus. C’est comme qui dirait l’grand chef des armées, l’bras droit d’la Sylvanas. Hé bé…Varimathras… ! »
Il ponctua sa phrase d’un sifflement puis repris sa marche. Je le suivis, perplexe et quelque peu angoissée. Il n’avait jamais été question d’un Seigneur dans les paroles d’Arlan, encore moins DU grand chef des armées. Je ne comprenais pas bien pourquoi je devais aller le voir, mais c’était a priori ce qu’il fallait que je fasse.
Nous arrivâmes bientôt dans les ruines de ce qui fut un jour un bastion humain, Lordaeron, puis nous prîmes un ascenseur qui nous fit descendre à une vitesse vertigineuse dans ses sous-bassements, la Capitale Réprouvée, Undercity. Je fus effarée par la quantité de gens qui s’y croisaient, de toutes espèces, de toutes professions et de tous rangs. Il n’y avait là non seulement des non-morts, mais également des Orcs, leurs alliés les Trolls ou même encore quelques Taurens. C’était la première fois que je croisais autre chose qu’un être humain, mort ou vivant. A part cet elfe dont il ne restait plus grand-chose… Kuntz me fit visiter la Capitale, bien qu’involontairement, pendant une large heure. Le bougre avait réussi à se perdre à chaque croisement, maugréant contre « c’te ville mal fichue », mais me permettant néanmoins de me familiariser un tant soit peu avec les lieus si ce n’est avec sa population cosmopolite. Nous croisâmes de nombreux aventuriers qui pour certains semblaient aussi perdus que nous l’étions, d’autres sur leur monture arborant des armures flamboyantes et ne semblant pas remarquer notre présence, parfois en groupe, la plupart du temps seuls.
Nous parvînmes non sans peine aux Quartiers Royaux, dans l’Apothicarium d’Undercity, un des puissant garde raccommodé de la ville nous ayant indiqué le chemin à suivre. Kuntz avait perdu toute sa verve et semblait encore plus tendu que je ne l’étais à mesure que nous approchions de la salle principale. Lorsque nous fûmes entrés, Kuntz me fit un léger signe de la tête et nous nous dirigeâmes au centre de la pièce. Là flottait la Banshee Sylvanas, Reine des Réprouvés, magnifique et terrible, tout le pouvoir qui l’habitait émanant de son être en des flots d’énergie qui forçaient le respect et l’admiration. Kuntz s’agenouilla devant elle, et n’ayant aucunement besoin qu’on me le dise, je fis de même. Je ne savais pas si je devais avoir peur ou confiance, si je devais me prosterner ou m’enfuir en courant. La Dame Noire balaya mes derniers doutes lorsqu’elle me dit :
« Sombrejour, Démoniste. Tu n’es pas de ceux que j’ai sauvés. Mais tu n’es pas non plus une esclave du Fléau. Que voilà une bien étrange occurrence… Un choix t’a été offert, oui…un choix. Et il semblerait que tu aies pris une sage décision en venant à moi. Sois donc la bienvenue, jeune Nihilis, car tel est ton nom, n’est-ce pas ? »
« Oui, Mada…ma Reine, tel est bien nom, Nihilis Cursemaker. Et s’il m’est permis de le dire, je ne sais si je suis à votre service, mais je ne suis pas de vos ennemis. »
Kuntz tressaillit à mes paroles. Même si ma tête était courbée, je le vis du coin de l’œil regarder dans ma direction et je devinais son air éberlué. Il sembla se courber un peu plus tandis que la Reine reprenait dans un rire :
« Hahaha, quelle franchise ! J’apprécie cela, et je ne te considère certes pas comme une ennemie. Tu aurais été balayée de cet univers si ça avait été le cas. Nous allons donc estimer que tu es libre, c’est ce que tu veux entendre. Eh bien soit, Nihilis, vaque librement tant que tu ne te mettras pas en travers de la route des armées Réprouvées. Saches néanmoins choisir un camp, il ne te sera pas permis très longtemps de n’en faire qu’à ta tête en ces temps de guerre. Sois nous utile, nous saurons t’en récompenser. Sois nous néfaste, et nous saurons te châtier. Va à présent ! Lord Varimathras attend ta visite. »
Je me relevais alors, m’inclinant devant la Dame Noire Sylvanas, moitié tremblante et moitié souriante. Puis je me dirigeais vers un être ressemblant en tout points à un démon, à quelques pas de là, et me plantais devant lui sans plus de marque d’allégeance. Le Seigneur Varimathras me tança du regard, l’air étonné.
Kuntz, juste derrière moi, me dit d’une voix tremblante d’un rire fugace :
« Toi, tu dois être complètement folle…on va bien s’entendre j’le sens… »
[à suivre…]