Une corde qui se tend.
Le son du bois qui gémit légèrement à la torsion.
Le ricanement sournois d’un Elfe.
Et dans mon esprit une question que je ne devais pas me poser à ce moment là : si c’était là le moment de ma mort, lesquels de mes souvenirs allaient défiler devant mes yeux ? Ceux de l’humaine ou ceux de la non-morte ?
Ma gorge nouée par le choc et la peur ne me permit même pas de gémir ; et j’étais bien incapable à ce moment-là de me souvenir d’une quelconque incantation, de toute façon. J’eu l’impression pendant ces quelques secondes que la scène se déroulait sous l’eau, les mouvements comme ralentis, disséqués dans leurs moindres aspects par mon esprit à la recherche, probablement, d’une solution. Le tigre du chasseur passa devant moi, faisant à peine attention à ma présence, et s’en fut renifler le cadavre d’Arlan, tandis que son maître me gratifia d’une dernière phrase avant de propulser sa flèche à travers mon crâne.
Le puissant félin marqua cependant un temps d’arrêt, la truffe à quelques centimètres du visage d’Arlan, et commença à reculer en grognant. Cela attira l’attention de l’Elfe qui reporta son regard dans cette direction, sans toutefois relâcher la tension de son arc. Je vis nettement dans son regard qu’il venait de comprendre quelque chose. Il intima certainement l’ordre à son tigre d’attaquer le cadavre, mais celui-ci semblait hésiter, faisant quelques pas de coté, le corps entier porté en arrière, les muscles des pattes arrières et du dos protubérant de tension, prêt selon toute vraisemblance à bondir. Mais hésitant…
Il n’aurait pas du…
L’espace sembla se contracter un fugitif instant autour du cadavre d’Arlan, l’instant d’après celui-ci était debout, hurlant tel un damné ! La surprise me fit trébucher, ce qui me sauva la vie, l’Elfe surpris aussi ayant décoché par automatisme sa flèche qui me fila juste sur le dessus du crâne, déchirant mon cuir chevelu.
Arlan était là, en vie, et au combat ! Le hurlement qu’il avait poussé avait eu raison des nerfs du tigre qui détala sur une centaine de mètres, se heurtant aux arbres dans sa fuite panique. Le chasseur quant à lui, se plaqua dos à un arbre, écrasé de terreur, mais avec dans le regard une haine implacable qui brûlait de tous ses feux !
Mon sauveur et Maître eu alors ce sourire sardonique, cet éclat de bestialité que je lui avais vu la veille au soir. Il fit apparaître dans sa main une petite sphère verte et luminescente qu’il avala, puis il prit à sa ceinture une fiole contenant un liquide bleu qu’il but, d’une traite. Il s’approcha ensuite du chasseur Elfe, qui perdit le soutient de ses jambes et s’effondra par terre, faisant sous lui comme la bête terrorisée qu’il était. Arlan s’approcha doucement de son visage, cessa complètement de sourire et sembla concentrer tout son esprit dans le cri de terreur qu’il lui asséna de nouveau. L’Elfe bondit alors sur ses pieds et commença de détaler, tombant sans cesse, plus à quatre pattes que sur ses seules deux jambes ! Arlan, lui, partit en direction du tigre et le rattrapa suffisamment au bout de quelques instants, tandis que l’Elfe semblait retrouver son calme. Ce dernier était prostré à terre, le visage souillé par les sillons que les larmes avaient tracés sur la poussière qui couvrait son visage, les dents serrées, jurant en langue elfique entre ses dents.
Arlan eut un dernier regard pour lui tandis qu’il formait de complexes formes dans les airs avec ses mains. Au bout d’une seconde commença à se former une boule de feu qu’il semblait modeler et faire grossir, et elle atteignit bientôt une taille considérable. Arlan prit alors une inflexion et projeta la boule de feu sur le tigre. Celle-ci le frappa de plein fouet, le carbonisant instantanément dans sa course folle. Sous la force de l’impact, le corps du tigre fut projeté violemment sur son flanc et percuta un arbre. Il y eut un claquement comme celui d’un tison lorsque sa colonne vertébrale se rompit contre l’arbre. Le chasseur eut un hurlement rauque et commença à charger Arlan, l’épée au poing. Sa charge fut de courte durée, il fut frappé par un voile d’énergie qui sembla l’effrayer et lui avait flétri le coté du visage. Arlan psalmodiait à présent sans cesse, maudissant sa cible, le frappant de traits de l’ombre, le faisant courir en tout sens jusqu’à le faire s’écrouler, au seuil de la mort, le corps corrompu jusqu’à la pourriture.
Je m’approchai de l’endroit où gisait l’Elfe, et m’accroupit près de son visage. Je pris tranquillement une des flèches de son carquois, et lui fit pointer le menton d’une poussée de l’index. Je plongeais la flèche dans sa gorge le plus lentement possible, traversant la trachée au rythme des faibles tressaillements du corps. Je m’apprêtais à consommer son âme lorsque je fus projetée en arrière par une brève onde de choc. Arlan venait lui-même d’achever le chasseur d’un trait de l’ombre en plein visage, dispersant une bonne partie de celui-ci sur quelques mètres alentour.
Il me regarda sombrement, puis détourna son regard.
« Viens ! me dit-il. Il n’est pas utile et même plutôt dangereux de rester près du cadavre d’un Allié. Les chasseurs ont beau être des solitaires en général, celui-ci était peut-être accompagné. Ne prenons pas plus de risque. Allons ! »
Nous repartîmes donc en direction d’Undercity sans faire d’autre escale, et nous ne devions pas nous adresser la parole avant l’arrivée aux abords de Brill. Arlan me demanda d’aller l’attendre à l’auberge pendant qu’il réglait une affaire avec un des Necrogardes.
J’arrivais devant l’enseigne de lorsque […] s’affala devant moi un non-mort, la mâchoire apparemment désarticulée, crachant sang et salive, suivi de près par ce qui semblait être un guerrier en armure de maille, casqué et brandissant un poing nanti d’une arme de pugilat. Il écrasa le dit poing sur le nez de ce qui n’était déjà plus qu’une épave et lui cria, tout en relevant le visage à sa hauteur :
« C’est les Murlocks qui ont les pieds palmés ! Pas les Gnolls ! D’accord ??!! »
Il laissa retomber le corps inerte au sol dans un nuage de poussière, épousseta ses gants et son torse et regarda dans ma direction.
« C’est vrai quoi… », dit-il à mon endroit, l’air presque désolé d’avoir aplati le visage de cette personne qui apparemment l’avait contrarié, fut-ce juste verbalement, et apparemment à propos d’un sujet qui méritait de toute évidence d’en arriver à de telles extrémités.
« Vous avez raison, il faut savoir défendre son point de vue. », lui répondis-je et je ris en le voyant traîner par le col le type qu’il venait de laminer vers les écuries, l’allongeant du mieux qu’il pouvait afin d’éviter de laisser un centimètre du corps sur autre chose que du crottin.
Sa besogne accomplie, il revint vers moi, ôta son casque et me dit avec le sourire de celui qui aime le travail bien fait et qui vient juste d’en faire la preuve :
« Z’êtes nouvelle vous ici, j’me trompe ? »
Et me tendant la main :
« Moi c’est Kuntz, j’suis là d’puis un ‘ti moment déjà. Y’a que des bœufs ici, z’ont aucune classe ces gueux. J’vous paie un godet ? C’est quoi vot’ nom ? Z’êtes là pour quoi faire ? »
« Nihilis, Cursemaker. J’accompagne mon Maître à Undercity afin d’y régler quelques affaires et rencontrer une personne. Et pourquoi pas un verre, oui, je dois attendre mon Maître à l’auberge quelques temps. »
« Undercity hein… ? Des affaires hein… ? Mouais j’vois l’genre…Bon aller v’nez donc, on va faire connaissance d’vant un bon pichet comme ça doit s’faire. J’ai moi-même pas mal d’choses à faire à Undercity, on pourra en causer si vous voulez. »
Nous entrâmes dans l’auberge et je fis alors plus amplement connaissance avec un personnage singulier, dont je ne savais pas à ce moment là qu’il serait un de mes plus fidèles compagnons pendant tant d’années…
[à suivre…]
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